La production musicale – partie 3
Pour faire suite à nos deux articles sur la production musicale – le premier traitant du rôle du producteur, le deuxième sur le sampling – l’article du jour porte sur une toute autre façon de générer du son : la synthèse sonore. Nous allons donc explorer les particularités de ce phénomène bien mystérieux et découvrir pourquoi et comment il a révolutionné la création musicale.
Les fondamentales
Le son représente la partie audible des vibrations acoustiques et se compose de deux paramètres principaux : les fréquences (sa hauteur), qui se mesurent en Hertz (nombre d’oscillations par seconde), et l’amplitude de la vibration (son volume), qui se mesure en décibels. En simplifiant, un son musical se décompose en une fondamentale, la note la plus basse, et en harmoniques, qui sont des multiples entiers de la fondamentale. La différence entre deux sons de même hauteur (la même fréquence fondamentale) dépend de la nature des harmoniques présentes ainsi que de leur amplitude. On parle de la notion de timbre, qui permet de distinguer un sol joué au piano ou à la guitare, ou qui fait que la voix de Syd Barrett ne « sonne » pas comme la voix de John Lennon, même lorsqu’ils chantent exactement la même note.
Cette mise au point théorique est essentielle pour comprendre les bases du fonctionnement des instruments de synthèse. C’est bien connu, dans le monde acoustique, une guitare produit du son par le frottement et la vibration de ses cordes, les sonorités d’une batterie sont créées par la frappe, la percussion des peaux tendues ou autres cymbales en métal, enfin, les cordes vocales d’une cantatrice entrent en vibration plus ou moins rapide pour émettre des notes plus ou moins hautes.
Or, dans l’univers de la synthèse, le son est généré par des éléments ou modules électroniques appelés oscillateurs. Ce signal sonore brut est ensuite modifié à l’aide de paramètres d’une variété potentiellement infinie. C’est bien cette notion d’infini en termes de « façonnage sonore » qui permet de créer des sonorités abstraites, des sons qui n’existent tout simplement pas en tant que tels dans la réalité, et qui peuvent être utilisés pour construire des univers sonores d’une diversité et d’une complexité qui n’ont de limites que la richesse de l’imagination. Prenons l’exemple d’un artiste peintre habitué à travailler avec une palette d’une douzaine de couleurs, cela pourrait être en quelque sorte l’équivalent des instruments acoustiques « traditionnels ». Imaginez un instant les perspectives si ce même artiste accédait soudainement à l’intégralité des couleurs Pantone, les couleurs fluo, le brillant, le phosphorescent, l’argenté, l’ultraviolet, etc. C’est donc tout naturellement que ces sonorités synthétiques ont tout d’abord trouvé place dans le paysage audiovisuel sous forme de musiques ou de bruitages abstraits et futuristes, essentiellement dans des films de science-fiction ou d’horreur.
« Le nombre limité d’instruments musicaux ne peut plus étancher la soif acoustique de l’homme moderne. Néanmoins la pensée musicale est toujours très « classique » avec une vision des hauteurs en gammes chromatiques (tons, demi-tons). » 1913, Luigi Russolo, auteur, peintre et musicien
Les pionniers de la synthèse
Ce qu’on peut qualifier de premier ancêtre du synthétiseur est breveté en 1897 par un scientifique canadien, Thaddeus Cahill, alors que l’électronique n’est pas encore inventée. Le Telharmonium pesait 200 tonnes, faisait 18 mètres de large et générait du son grâce à des alternateurs pilotés par des moteurs électriques. La machine était branchée sur les circuits téléphoniques de New York, ainsi, certains établissements signèrent une sorte d’abonnement pour recevoir la musique dans leurs locaux.
Mais en 1904, l’électronique est née. La diode fût inventée et c’est en 1913 que le premier brevet sur l’emploi d’une lampe triode comme oscillateur fut déposé, elle pouvait donc créer du son. Les concepts du Telharmonium vont vite être oubliés. En 1920, le Russe Lev Sergeyevich Termin, plus connu sous le nom de Léon Thérémin, présente à Petrograd l’Etherophone, qui porte maintenant le nom de son inventeur, le Thérémine. La particularité de cet instrument est qu’il se joue sans être touché, grâce à deux antennes créant un champ magnétique.
Grâce au Thérémine et après plusieurs autres inventions dans les années 20, comme l’Ondes Martenot, l’Ondioline ou le Trautonium, les synthétiseurs commencent à intéresser les musiciens les plus curieux. Comme évoqué plus haut, ces instruments étaient d’abord utilisés pour sonoriser des objets ou phénomènes inconnus et imaginaires dans des films de science-fiction.
Ce n’est qu’à la fin des années soixante que l’on commença à entendre des synthétiseurs dans la musique dite « populaire », ou du moins rock, avec l’arrivée sur le marché de la mythique marque Moog, dont on retrouve les sonorités dans la musique de Mort Garson, Pink Floyd ou Yes.
Quelques années plus tard, vers la fin des années 70, on voit apparaître de plus en plus d’adeptes de la musique électronique et de nouveaux styles de musique voient le jour. Par exemple, la Disco de Giorgio Moroder, qui a notamment produit certaines chansons de Donna Summer, dont « I Feel Love » et sa ligne de basse de synthétiseur caractéristique. Un autre bon exemple est le post-punk, et plus particulièrement le groupe anglais Joy Division, qui prenait ses racines dans le punk rock du milieu des années 70 mais qui était grandement influencé par des groupes d’électronique comme Kraftwerk. Ce style se divisa alors en plusieurs branches. Des nouveaux genres, comme la New Wave ou la Synthpop avec des artistes comme New Order, Gary Newman ou encore Depeche Mode, pouvaient alors s’épanouir dans les années 80.
Parallèlement, un autre genre notable est l’ambient de Brian Eno et consorts, qui est une musique planante qui émergea à la fin des années 70 et dans laquelle les synthétiseurs prennent la plus grande place dans l’instrumentation.
Le numérique. Possibilités multipliées, coûts divisés.
Le numérique bouleversa la façon de produire la musique. Il en est de même pour les synthétiseurs. En 1983, le Yamaha DX7 révolutionne le monde de la musique grâce à ses sons nouveaux et son prix abordable. Prenez par exemple la ligne de basse de la fameuse chanson du film Top Gun, « Take My Breathe Away » de Berlin, les marimbas d’« Africa » du groupe Toto, ou encore « Another Part Of Me » de Michael Jackson, tous ces morceaux ont été composés à l’aide du DX7. Et la liste serait trop grande pour citer tous les autres artistes qui ont sorti des hits dans les années 80 avec ce synthétiseur.
Quantité d’autres synthèses numériques furent développées dans la foulée, des technologies qui contribuèrent à l’avènement de la musique électronique dans les années 80. La Disco, la New Wave et plus tard la Techno n’existeraient certainement pas sans les synthétiseurs et les boîtes à rythme, et l’héritage et l’impact culturel que ces mouvements musicaux ont eu dans l’histoire ne sont plus à démontrer.
L’évolution rapide du numérique dans cette décennie déboucha finalement sur les premiers pas de la MAO, la musique assistée par ordinateur. Aujourd’hui, chaque logiciel de production musicale contient une multitude de synthétiseurs virtuels qui nous permettent d’obtenir pratiquement toutes les sonorités imaginables. Que ce soit pour le prochain hit de pop, pour le cinéma ou pour la publicité, les producteurs s’en servent constamment et pour toutes sortes de résultats. Vous pourrez voir un exemple ci-dessous d’une pub McDonald’s dans laquelle la musique est entièrement composée avec des synthétiseurs.
D’ailleurs, vous utilisez vous-même la synthèse tous les jours sans le savoir. Les sons des ordinateurs, des téléphones et autres appareils ménagers utilisent la synthèse numérique pour créer des messages ou alertes sonores propres à chaque marque. Vous l’avez donc compris, la synthèse est partout et c’est avec les yeux rivés sur le futur que nous nous réjouissons de voir quels univers elle nous permettra encore d’explorer.